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Forel, un navire de recherche hélvetiquement vôtre

Mirjana Binggeli 27. mars 2025 | Arctique, Science

De la cartographie des fjords à l’étude des particules, le navire de recherche Forel mène des expéditions multidisciplinaires dans l’Arctique pour mieux comprendre l’impact du réchauffement climatique et les écosystèmes marins. Un véritable laboratoire flottant aux airs de couteau suisse.

Conçu pour les environnements côtiers, le Forel offre toutefois la possibilité de naviguer dans certaines conditions de glace grâce à sa coque en aluminium. Photo : Julien Girardot

Loin de l’océan, Stéphane Aebischer prépare pourtant la prochaine expédition d’un navire dédié à la recherche scientifique dans les mers arctiques.

Ce navire, c’est le Forel. Une véritable plateforme de recherche océanographique multidisciplinaire dédiée à l’étude des environnements côtiers polaires et subpolaires. Mise à disposition de la communauté scientifique suisse et internationale, la plateforme est gérée par l’Association Forel-Héritage, baptisée ainsi d’après le limnologue suisse François-Alphonse Forel. Un nom plutôt bien choisi: « Il avait une approche très avant-gardiste et multidisciplinaire de l’étude des milieux lacustres. On a souhaité lui rendre hommage », relève Stéphane Aebischer. Installé à Chibougamau, en plein territoire crie, il prend le temps de répondre à nos questions malgré un agenda surchargé. Biologiste de formation, il est le General Manager de l’association. Un véritable travail d’homme-orchestre : « J’en suis à la vingtième version de mon calendrier. », glisse-t-il en riant. 

Mais pourquoi un navire pour les milieux côtiers en particulier ? « Ces milieux sont moins étudiés ou plus difficiles d’accès. Présentement, ils constituent un véritable intérêt dans la recherche scientifique et pour les communautés locales. Ce sont des milieux où les interactions sont nombreuses mais qui subissent aussi les  impacts du réchauffement climatique. C’est également dans ces régions que l’on retrouve beaucoup de communautés humaines. » Une approche interdisciplinaire importante pour l’association. « On apprécie de disposer d’une plateforme où on ne fait pas seulement de la sonographie, mais où on peut étudier le continuum océan, terre, atmosphère et avoir une vision plus globales des écosystèmes sans séparer les différentes entités. »

L’association a également pour mission de former de jeunes chercheurs et marins aux défis des régions polaires, de sensibiliser le public aux enjeux environnementaux, et de vulgariser les connaissances scientifiques, tout en cherchant à inclure les communautés locales dans ses programmes. Un processus qui prend toutefois du temps et qui dépend du projet de recherche. « C’est aux chercheurs eux-mêmes de décider s’ils veulent intégrer le savoir traditionnel dans leurs travaux. Étant donné que l’association n’opère pas dans ses propres territoires, il est essentiel d’informer les communautés locales de l’arrivée du navire et de ce qu’il fait. Cela s’inscrit dans une démarche de respect et de construction d’une relation de confiance avec les communautés du Nord, qui sont habituées à voir des Occidentaux venir dans leurs régions. »

Si l’association est récente – elle a été créée il y a un peu plus d’un an -, elle commence déjà à développer des partenariats locaux, comme avec l’Institut Polaire d’Uummannaq au Groenland, pour partager des connaissances et des ressources, et créer des liens avec les communautés. Par exemple, un programme sur la morue polaire cherche à travailler avec les chasseurs groenlandais pour mieux comprendre les chaînes alimentaires locales. « Les démarches prennent du temps et varient selon les pays. Par exemple, au Canada, les processus de consultation pour accéder à des zones de recherche sont longs, parfois plus d’un an. »

Il n’y a d’ailleurs pas que les démarches auprès des autorités qui prennent du temps. L’ensemble de la planification d’une expédition Forel est un processus long et complexe qui s’étend sur plusieurs mois, voire même sur plusieurs années. Un processus qui implique la sécurisation des propositions de projets de recherche, l’obtention des permis et autorisations nécessaires, la coordination de la logistique comme l’équipage, l’équipement et les fournitures, et l’adaptation de la configuration du navire pour répondre aux besoins spécifiques de la recherche. L’équipe travaille en étroite collaboration avec les capitaines du navire pour planifier des itinéraires sûrs et efficaces en fonction de facteurs tels que les conditions de glace et la météo.

Un laboratoire flottant résolument côtier

Helvétique jusqu’au bout de la proue, le Forel fait figure de couteau suisse quand on découvre les équipements à bord. Une CTD-Rosette pour les profils physico-chimiques de la colonne d’eau et les prélèvements, une Ferrybox pour la physicochimie de l’eau de surface, une station météo et trois laboratoires, humide, sec et propre. 

Et niveau navigation en eaux glacées, le Forel n’a rien d’un novice. Son précédent propriétaire était le célèbre explorateur et aventurier brésilien, Amyr Klink. « Il avait conçu ce navire pour ses expéditions en Antarctique et en Arctique. Il a donc choisi un matériel comme l’aluminium pour renforcer la coque et doté le navire d’une importante autonomie. De notre côté, on a ajouté des panneaux solaires pour pouvoir produire de l’électricité à bord et un système d’osmoseur pour produire tous les jours de grandes quantités d’eau douce. »

« On a aussi fait en sorte d’avoir un navire le plus propre possible en termes d’empreinte écologique. On sait bien qu’un navire pollue et on a justement inclus des systèmes de réduction des oxydes nitriques dans les échappements. On dispose aussi d’un système de traitement des eaux usées à bord. On a les voiles bien sûr qui nous permettent de limiter l’utilisation de fioul et on a choisi de limiter les matériaux à base de pétrole. Par exemple, notre pont est couvert de liège, ce qui est plutôt confortable, joli et en même temps écologique. »

Le Forel n’est pas classé pour naviguer dans la glace épaisse ou dériver dans les régions polaires où les pressions sont trop fortes. Mais ce n’est pas là son but. Il possède en effet des caractéristiques qui le rendent adapté aux environnements côtiers et à certaines conditions de glace. Il dispose de deux quilles sous sa coque renforcée qui permettent au navire de s’échouer en toute sécurité, un véritable plus dans les zones côtières peu profondes. Les safrans du navire permettent une bonne direction, et la dérive, qui est également relevable, assure une stabilité optimale. En outre, le navire peut briser une certaine épaisseur de glace et effectuer des hivernages dans des baies peu profondes.

Du Saguenay à la calotte groenlandaise

Après un réaménagement complet effectué en 2023-2024, le Forel a effectué sa première mission au printemps-été 2024, au sud du Groenland. Et pour ce premier baptême, l’ancien navire d’expédition a embarqué deux programmes de recherche, le projet multidisciplinaire Greenfjord, financé en partie par le Swiss Polar Institute, et un programme de l’Université Laval du Québec portant sur l’écologie benthique. Une première mission qui s’est terminée sur un beau succès. 

Actuellement amarré à Lorient, le Forel sera ramené au Québec pour y démarrer sa nouvelle saison sur un programme encore plus ambitieux, avec 140 jours d’expédition prévus. « Par rapport à l’année dernière, on a augmenté le nombre de jours d’opération à bord du navire. »

L’expédition 2025 prévoit ainsi une collaboration avec des chercheurs canadiens affiliés à l’Université du Québec à Chicoutimi et l’Université Laval dans le Fjord du Saguenay, l’un des fjords les plus septentrionaux et les plus peuplés au monde. Ce programme se concentrera sur la cartographie des parois verticales du fjord. « Si la topographie horizontale a déjà été largement étudiée, l’aspect vertical reste un terrain encore peu exploré », explique Stéphane Aebischer. « Les fjords polaires, souvent profonds de plusieurs centaines de mètres, abritent une biodiversité spécifique, notamment des organismes vivant sur les parois immergées. Ces organismes ont été un peu oubliés dans les modèles. Ce projet a pour objectif de cartographier ces parois pour mieux comprendre les écosystèmes qui y vivent et leur rôle dans l’équilibre global des fjords. »

De la cartographie des fjords à l’étude des particules, le navire de recherche Forel mène des expéditions multidisciplinaires dans l'Arctique pour mieux comprendre l'impact du réchauffement climatique et les écosystèmes marins. Un véritable laboratoire flottant aux airs de couteau suisse.
Première mission : le Forel au Groenland en 2024. Photo : Valentin Proult

Le projet comprendra également un volet d’étude physico-chimique des masses d’eau du fjord, histoire de mieux comprendre cet environnement complexe où se mélangent de gigantesques masses d’eau douce et salée, leur stratification et leur impact sur les écosystèmes marins. 

Autre volet, le programme sur les nano- et microparticules dans les océans accompagnera l’expédition 2025 tout au long de son trajet du Québec à la Baie de Disko. Véritable programme clé, ce volet étudiera les particules tant naturelles que anthropiques qui circulent dans l’hémisphère nord. « Ce projet se concentre notamment sur les suies provenant de la combustion des forêts, un phénomène de plus en plus préoccupant dans le nord du Québec et qui a un impact sur l’albédo et la concentration des polluants. L’objectif est de mieux comprendre leur rôle et leurs effets, potentiellement néfastes, dans les écosystèmes marins. » 

Des programmes supplémentaires dans le nord-ouest du Groenland sur les émissions de gaz à effet de serre provenant des écoulements sous-glaciaires, ainsi que sur la morue polaire. Un poisson dont les populations sont affectées par le réchauffement climatique et qui pourrait bien trouver un peu de répit dans les eaux de fonte issues de l’inlandsis groenlandais. « C’est une hypothèse qui est en train d’être testée pour déterminer si la fonte de la calotte glaciaire ne constituerait pas un refuge thermique pour les œufs et les larves. »

Pour terminer sa saison en beauté, le Forel poursuivra sa route jusqu’au sud du Groenland pour y retrouver le programme Greenfjord. Axé sur la biodiversité et les études atmosphériques et océanographiques, il donnera également l’occasion de tester des instruments développés par les écoles polytechniques fédérales suisses, avant de s’achever sur un volet sciences sociales pour mieux comprendre les interactions entre les communautés locales et la science. 

Alors que l’expédition scientifique 2025 n’a même pas encore commencé, se pose déjà la question de l’Antarctique.  « On a déjà été approchés mais rien de concret. Pour l’instant, on se concentre sur nos missions et on essaie d’aller de l’avant. L’Antarctique, ce sera probablement d’ici deux-trois ans, le temps qu’on fasse nos preuves et que le navire soit vraiment éprouvé et testé en milieu arctique. »

Le Forel n’a donc pas fini de balader sa coque en aluminium dans les eaux du Grand Nord, toujours au service des chercheurs de la communauté suisse et internationale.

Pour en savoir plus : https://www.forel-heritage.org/

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