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La défense de narval, le couteau suisse de la licorne des mers

Dr. Michael Wenger 5. mars 2025 | Arctique, Science

De nouvelles recherches mettent en évidence les fonctions polyvalentes de la défense du narval, révélant son rôle surprenant dans la chasse et au-delà.

Le narval est un mammifère marin unique en raison de ses défenses proéminentes, une caractéristique qui a intrigué les gens pendant des siècles. Photo : Michael Wenger

La défense du narval, une caractéristique remarquable de la « licorne » arctique, captive depuis longtemps les scientifiques et les amateurs de nature. Les fonctions de cette dent allongée et spiralée, que l’on trouve principalement chez les mâles et qui peut atteindre jusqu’à 3 mètres de long, ont longtemps laissé les scientifiques perplexes, d’autant plus qu’environ 15 % des femelles en sont également pourvues. Une nouvelle étude publiée dans Frontiers in Marine Science démontre que la défense est un outil étonnamment polyvalent, un peu comme un « couteau suisse », pour ces insaisissables mammifères marins, en particulier pour la chasse.

Des images inédites prises par des drones ont permis de réaliser les premières observations détaillées de narvals utilisant habilement leurs défenses pour capturer des ombles de l’Arctique. Des chercheurs du Harbor Branch Oceanographic Institute de la Florida Atlantic University, en collaboration avec Pêches et Océans Canada, l’université de Windsor et d’autres instituts de recherche canadiens, ont travaillé avec des communautés inuit du Nunavut pour documenter ce comportement.

Publiée le 28 février 2025, l’étude révèle la « dextérité, la précision et la vitesse de mouvement remarquables de la défense » dont font preuve les narvals lors des interactions avec leurs proies. Les scientifiques ont observé des narvals utilisant les pointes de leurs défenses pour « interroger et manipuler » l’omble chevalier, de brefs contacts avec la défense entraînant souvent une réponse du poisson. Dans certains cas, la force appliquée avec la défense était « suffisante… pour étourdir et éventuellement tuer le poisson » avant qu’il ne soit consommé, comme l’indique la publication scientifique.

Séquence comportementale, ralentie à 0,3 X, de narvals poursuivant un poisson, identifié comme un omble chevalier, et le narval de tête frappant le poisson à plusieurs reprises avec sa défense. Les cercles jaunes permettent de suivre le mouvement du poisson qui s’échappe en nageant le long du flanc du narval de tête. Vidéo : O’Corry-Crowe et al. (2025) CC-BY SA 4.0

Cette recherche, comme le souligne l’article de Frontiers in Marine Science, offre « un nouvel aperçu de l’utilisation des défenses, des tactiques utilisées pour cibler et suivre les proies potentielles, du comportement social et des premiers rapports de tentatives de kleptoparasitisme sur les narvals ». L’équipe a répertorié 17 comportements distincts, mettant en évidence la dynamique complexe entre les narvals, leurs proies et même les goélands bourgmestres opportunistes qui tentent de voler un repas.

Bien que l’étude mette l’accent sur les capacités de chasse de la défense, elle a également constaté que les narvals utilisaient leurs défenses pour l’exploration et les interactions ludiques avec leur environnement, ce qui suggère un éventail de fonctions plus large que ce qui avait été reconnu précédemment.

L’omble chevalier : Une proie inattendue

Il est intéressant de noter que, bien que les narvals soient connus pour se nourrir principalement de flétan noir, de morue polaire et de calmar, cette étude s’est concentrée sur les observations de chasse à l’omble chevalier. Bien qu’il ne soit pas considéré comme une proie de base, l’omble chevalier est disponible de façon saisonnière et représente une importante source de nourriture. Notamment, Pêches et Océans Canada avait déjà documenté des comportements de chasse similaires assistés par des défenses en 2017, ce qui renforce l’idée que cette tactique n’est pas entièrement nouvelle, mais peut-être insuffisamment documentée jusqu’à présent.

Vidéo présentée par Pêches et Océans Canada sur l’utilisation des défenses pour la chasse. Vidéo : Youtube

Un « couteau suisse » sensoriel

La défense du narval n’est pas seulement un outil physique, mais aussi un organe sensoriel sophistiqué, ce qui ajoute encore à la complexité de l’animal. Des recherches menées par la Harvard Medical School ont révélé que la défense est densément innervée par des millions de terminaisons nerveuses et possède une structure poreuse qui lui permet de détecter de subtils changements dans la salinité de l’eau. Cette capacité sensorielle pourrait aider les narvals à naviguer dans leur habitat glacé et à localiser leurs proies dans les eaux arctiques souvent troubles. Selon le Dr Martin Nweeia, l’un des principaux chercheurs sur les défenses de narval, elle est « la première dent dont les tests in vivo ont montré qu’elle avait une fonction sensorielle par rapport à une variable normale de son environnement ».

Coupe longitudinale d’une défense de narval. La couche externe est constituée de poros et permet à l’eau de mer de pénétrer, tandis que la dentine (couche 2) contient également des tubes avec des terminaisons nerveuses faisant saillie dans la cavité remplie de vaisseaux sanguins et de nerfs. Photo : Dietz et al. (2021) Cur Biol 31

Implications pour la survie du narval

Comprendre le rôle à multiples facettes de la défense du narval, en particulier sa fonction de chasse récemment révélée, est de plus en plus important dans le contexte d’un Arctique en mutation rapide. Alors que le changement climatique modifie la répartition des proies et les conditions de glace, la défense « couteau suisse » et la capacité d’adaptation qu’elle offre peuvent être cruciales pour la survie du narval dans cet environnement dynamique.

Pour les communautés de l’Arctique, les narvals sont culturellement et écologiquement importants, jouant un rôle vital dans l’équilibre délicat de l’environnement polaire. L’Arctique étant confronté à des changements environnementaux, notamment des conditions changeantes et des activités humaines croissantes, les connaissances acquises grâce à ce type de recherche collaborative deviennent de plus en plus précieuses. En outre, la découverte de la chasse assistée par la défense soulève de nouvelles questions, notamment : comment les narvals, en particulier les femelles et les mâles dépourvus de défense, parviennent-ils à naviguer dans l’océan Arctique et à trouver leurs proies sans cet outil de premier plan ? Après tout, environ 85 % des femelles narvals sont dépourvues de défense.

Les chercheurs sont convaincus que les technologies non invasives telles que les drones s’avèrent précieuses pour la collecte de ces données, ce qui leur permet de mieux comprendre ces énigmatiques « licornes des mers » et de contribuer à leur conservation dans un Arctique qui se réchauffe.

Michael Wenger, Polar Journal AG

Lien vers l’étude : O’Corry-Crowe G et al. (2025) Use of tusks by narwhals, Monodon monoceros, in foraging, exploratory, and play behavior. Front. Mar. Sci. 12:1518605. doi : 10.3389/fmars.2025.1518605

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