La menace cachée de l’Antarctique : l’eau de fonte sous la calotte glaciaire amplifie l’élévation du niveau de la mer
Une nouvelle étude montre comment l’eau sous-glaciaire pourrait menacer la stabilité de la calotte glaciaire de l’Antarctique. Ce qui pourrait ajouter, par rapport aux estimations actuelles, plus de deux mètres au niveau mondial d’élévation des mers d’ici 2300.

Par Chen Zhao et Ben Galton-Fenzi
L’un des plus grands défis pour prédire l’avenir très incertain de l’Antarctique est de comprendre exactement ce qui provoque la perte de glace.
Un vaste réseau de lacs et de cours d’eau se trouve sous l’épaisse couche de glace. Cette eau peut lubrifier la glace, ce qui lui permet de glisser plus rapidement vers l’océan.
Nos nouvelles recherches montrent que l’eau sous-glaciairejoue un rôle beaucoup plus important qu’on ne le pensait dans la perte de glace de l’Antarctique. Si elle n’est pas correctement prise en compte, l’élévation future du niveau de la mer pourrait être largement sous-estimée.
La prise en compte des effets de l’évolution de l’eau sous-glaciaire dans les modèles de calotte glaciaire peut tripler la quantité de glace qui s’écoule vers l’océan. Cela ajoute plus de deux mètres au niveau mondial des mers d’ici 2300, avec des conséquences potentiellement énormes pour les communautés côtières du monde entier.
Comprendre le rôle de l’eau sous-glaciaire
L’eau sous-glaciaire se forme lorsque la base de la couche de glace fond. Ce phénomène est dû soit au frottement de la glace, soit à la chaleur géothermique du socle rocheux situé en dessous.
La présence d’eau sous-glaciaire permet à la glace de glisser plus facilement sur le socle rocheux. Elle peut également provoquer une fonte plus importante sous les plates-formes glaciaires, entraînant une perte de glace encore plus rapide.
Il est donc essentiel de comprendre quelle quantité d’eau sous-glaciaire est générée et où elle va, ainsi que son effet sur l’écoulement de la glace et la poursuite de la fonte.
Mais l’eau sous-glaciaire est en grande partie invisible. Cachée sous une couche de glace de plus de deux kilomètres de profondeur, elle est incroyablement difficile à observer.
Les scientifiques peuvent forer des trous à travers des centaines, voire des milliers de mètres de glace pour l’atteindre. Mais il s’agit d’un processus coûteux et difficile sur le plan logistique.
Ils peuvent également utiliser un radar à pénétration de glace pour « voir » à travers la glace. Une autre technique, l’altimétrie laser, permet d’étudier les variations de hauteur de la glace à la surface. Des bourrelets peuvent apparaître lorsque les lacs situés sous la calotte glaciaire se remplissent ou disparaître lorsqu’ils se vident.
Plus de 140 lacs sous-glaciaires actifs ont été identifiés sous l’Antarctique au cours des deux dernières décennies. Ces découvertes fournissent des informations précieuses. Mais de vastes régions, en particulier dans l’Antarctique de l’Est, restent inexplorées. On sait peu de choses sur les liens entre ces lacs.
Ce que nous avons fait et ce que nous avons trouvé
Nous avons utilisé des simulations informatiques pour prédire l’influence de l’eau sous-glaciaire sur le comportement de la calotte glaciaire.
Nous avons utilisé deux modèles informatiques :
- un modèle avancé de calotte glaciaire qui simule l’écoulement de la calotte glaciaire et sa réaction au climat.
- un modèle hydrologique spécialisé qui prédit la production et l’écoulement de l’eau sous-glaciaire.
Nous avons ensuite étudié comment différentes hypothèses sur la pression de l’eau sous-glaciaire affectent la dynamique de la calotte glaciaire. Plus précisément, nous avons comparé des scénarios dans lesquels la pression de l’eau pouvait changer au fil du temps à des scénarios dans lesquels elle restait constante.
Lorsque les effets de l’évolution de la pression de l’eau sous-glaciaire ont été inclus dans le modèle, la quantité de glace s’écoulant dans l’océan sous le climat futur a presque triplé.
Ces résultats suggèrent que de nombreuses projections actuelles d’élévation du niveau de la mer pourraient être trop faibles, car elles ne tiennent pas pleinement compte de l’influence dynamique de l’eau sous-glaciaire.
Nos recherches soulignent l’urgence d’intégrer la dynamique des eaux sous-glaciaires dans ces modèles. Dans le cas contraire, nous risquons de sous-estimer considérablement le rythme et l’ampleur de l’élévation future du niveau de la mer.
Dans la vidéo ci-dessous, les lignes foncées en mouvement montrent l’endroit où la glace échouée commence à flotter. Le panneau de gauche représente un scénario dans lequel l’eau sous-glaciaire n’est pas incluse dans le modèle de la calotte glaciaire et le panneau de droite représente un scénario qui inclut les effets de l’évolution de l’eau sous-glaciaire.
Une menace imminente
Si l’on ne tient pas compte de l’eau sous-glaciaire, les projections relatives à l’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale sont sous-estimées de deux mètres d’ici à 2300.
Une élévation de deux mètres mettrait de nombreuses villes côtières en grand danger et pourrait entraîner le déplacement de millions de personnes. Les dommages économiques pourraient atteindre des milliers de milliards de dollars, endommageant des infrastructures vitales et remodelant les littoraux du monde entier.
Cela signifie également que la date des futurs points de basculement est sous-estimée. Il s’agit du point à partir duquel la perte de masse de la calotte glaciaire devient beaucoup plus rapide et probablement irréversible. Dans notre étude, la plupart des régions franchissent ce seuil bien plus tôt, certaines dès 2050. C’est très inquiétant.
La voie à suivre
Comprendre le système hydrique caché de l’Antarctique est un défi. Le risque d’une perte de glace rapide, catastrophique et irréversible demeure.
D’autres observations sont nécessaires pour améliorer nos modèles, en particulier dans les régions éloignées telles que l’Antarctique de l’Est. La poursuite de la collecte d’informations à partir de forages, de radars à pénétration de glace et de satellites nous aidera à mieux comprendre le comportement de la face inférieure de la calotte glaciaire. Ces techniques peuvent ensuite être combinées à des simulations informatiques pour permettre des projections plus précises de la perte de glace et de l’élévation du niveau de la mer à l’avenir.
Notre nouvelle recherche montre que l’intégration de la dynamique des eaux sous-glaciaires dans les modèles de calotte glaciaire est une priorité absolue. Il est essentiel de comprendre cette menace cachée alors que le monde est aux prises avec les conséquences du réchauffement climatique, notamment la montée des eaux.
Chen ZahoProfesseur à l’Université de Tasmanie, ARC DECRA Senior Research Fellow, Institut d’études marines et antarctiques, Université de Tasmanie
Ben Galton-FenziScientifique principal, Division australienne de l’Antarctique
Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lire l’article original