Rétrospective polaire – Les agents pathogènes affectent de plus en plus la faune polaire
La rétrospective polaire revient sur les évènements de la semaine écoulée liés à l’Arctique et à l’Antarctique et se concentre sur un ou plusieurs aspects. Cette semaine, nous nous penchons sur la santé animale dans les deux régions polaires : deux études portent sur l’impact des agents pathogènes sur les ours polaires, tandis que la grippe aviaire redevient un sujet de discussion dans les régions antarctiques en plein réveil et qu’elle a des répercussions sur les activités humaines.
Un environnement glacial n’épargne pas forcément les animaux des régions arctiques et antarctiques, ils ont toujours été affectés par des agents pathogènes, qu’il s’agisse d’un virus, d’une bactérie ou d’un parasite. En fait, les scientifiques considèrent ces organismes généralement peu visibles comme un facteur essentiel de l’évolution des animaux. Il s’agit toujours d’une course aux armements entre le système immunitaire de l’hôte et les mesures prises par l’agent pathogène pour lui échapper et se propager au sein de l’hôte. Toutefois, au cours des dernières décennies, ce système a été influencé par des facteurs environnementaux externes, qui le font généralement pencher en faveur de l’agent pathogène en raison de ses possibilités d’adaptation plus rapides.
Deux études menées dans l’Arctique et publiées ces dernières semaines confirment que les virus, les bactéries et les parasites se déplacent et affectent particulièrement les prédateurs de l’Arctique, au premier rang desquels l’ours polaire. Elles montrent également que la santé des ours polaires et d’autres animaux de l’Arctique n’est pas seulement une préoccupation pour l’espèce elle-même, mais aussi pour les communautés autochtones qui dépendent d’eux pour leur subsistance.
Les pathogènes affectent de plus en plus les ours polaires de la mer des Tchouktches
Une étude américaine dirigée par le Dr Kary D. Rode de l’US Geological Survey et publiée dans PLOS ONE a récemment examiné l’exposition accrue aux agents pathogènes chez les ours polaires de la région de la mer des Tchouktches sur une période de trente ans. L’équipe de recherche a révélé que la prévalence des anticorps contre cinq agents pathogènes tels que Toxoplasma, Neospora et le virus de la maladie de Carré (CDV) a augmenté de manière significative au cours de la période étudiée. L’étude a mis en évidence plusieurs relations significatives entre l’exposition aux agents pathogènes et divers facteurs. Notamment, les femelles présentaient une séroprévalence plus élevée pour Francisella tularensis, Coxiella burnetii et Brucella abortus et Brucella suis que les mâles. En outre, l’âge a également joué un rôle, la séroprévalence de Toxoplasma gondii et du virus de la maladie de Carré (CDV) augmentant avec l’âge.
L’un des facteurs importants de cette modification de l’exposition aux agents pathogènes semble être un changement des habitudes alimentaires, indique l’équipe de recherche dans son étude. Selon les résultats, le changement de type de proie entraîne une exposition à de nouveaux agents pathogènes, comme le montrent les ours qui ont augmenté leur consommation de phoques barbus ou de baleines boréales au lieu de phoques annelés, leurs proies préférées.
Selon les résultats de l’étude, l’exposition à de nouveaux agents pathogènes entraîne une réponse immunitaire élevée chez les ours polaires. Il s’agit d’un investissement très coûteux, en particulier en été, lorsque les sources de nourriture à haute teneur énergétique sont plus difficiles à trouver et que les ours polaires doivent gérer leur énergie pour la chasse et la subsistance.
Plus de pollution, plus de réponses immunitaires affectées
Cependant, les ours polaires ne sont pas les seuls animaux à être affectés par une exposition accrue aux agents pathogènes. Dans une autre étude, réalisée cette fois par une équipe internationale et publiée en version préliminaire dans la revue Science of the Total Environment, les auteurs apportent des preuves irréfutables que les animaux de l’Arctique en général sont de plus en plus affectés par des agents pathogènes en raison de la combinaison du changement climatique, de la pollution et des mutations écologiques.
En étudiant les facteurs à l’origine de cette exposition accrue et son impact, les auteurs ont découvert que les niveaux élevés de polluants organiques persistants (POP) et de substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS) dans l’environnement arctique entraînent une suppression immunitaire chez les animaux, ce qui les rend plus sensibles aux infections. L’étude dirigée par les auteurs Emilie Andersen-Ranberg, de l’université de Copenhague, et Christian Sonne, de l’université d’Aarhus, a montré que les concentrations de ces polluants sont parmi les plus élevées au monde chez ces prédateurs, ce qui aggrave leur vulnérabilité aux maladies telles que la grippe et d’autres infections virales.
Ces résultats ne contredisent toutefois pas les conclusions de l’étude précédente de l’équipe américaine, selon lesquelles la réponse immunitaire est élevée, car toute infection entraîne généralement une réponse. Ils indiquent plutôt que la réponse elle-même n’est pas assez forte pour se débarrasser de l’infection comme elle le ferait normalement chez un ours polaire non pollué.
Les zoonoses, un problème émergent dans toutes les régions polaires
La transmission des nouveaux arrivants dans les régions polaires aux populations déjà établies est une autre raison de l’augmentation de l’exposition aux agents pathogènes. L’étude d’Andersen-Ranberg et de ses collègues fournit de nombreuses preuves de ces transmissions, par exemple la rage du renard roux au renard arctique ou la bactérie Erysipelothrix rhusiopathiae, que l’on trouve habituellement chez le bétail mais qui a également causé une mortalité généralisée chez les bœufs musqués en 2015 dans l’Arctique canadien. Là encore, les auteurs concluent que des facteurs anthropiques tels que le réchauffement de l’Arctique et la pollution favorisent les déplacements massifs d’espèces non arctiques vers les régions du Grand Nord.
Cependant, ces zoonoses ne se limitent pas à l’Arctique. La région antarctique est également de plus en plus touchée, comme l’a clairement montré l’épidémie de grippe aviaire de l’année dernière en Amérique du Sud et en Géorgie du Sud. Des mortalités massives d’éléphants de mer du Sud ont été enregistrées le long des plages d’Argentine et du Chili, avant d’être constatées en Géorgie du Sud. Récemment, les autorités des Terres australes françaises ont signalé un événement similaire sur l’île de la Possession, qui fait partie de l’archipel des Crozet. Alors que les experts n’ont encore prélevé que des échantillons pour confirmer la cause des décès, les autorités déclarent déjà que l’épidémie est probablement due à un « agent pathogène d’origine grippale ».
Bien que des preuves génétiques spécifiques manquent encore, il semble probable que les éléphants de mer de l’île de la Possession soient également touchés par le même virus que leurs homologues de Géorgie du Sud et d’Argentine. Une étude menée par une équipe de recherche internationale avait révélé que le virus en cause était une mutation du virus H5N1-HPAI permettant une transmission de mammifère à mammifère.
Dans l’ensemble, ces exemples montrent que les défis auxquels est confrontée la faune polaire sont complexes et multiformes. Le changement climatique, la pollution et les maladies émergentes contribuent tous à la vulnérabilité de ces animaux uniques. La poursuite de la surveillance, de la recherche et de la collaboration internationale est essentielle pour comprendre et atténuer ces menaces. Les récentes épidémies de grippe aviaire soulignent l’importance des mesures de biosécurité pour prévenir la propagation des maladies. La protection de la faune polaire n’est pas seulement une préoccupation régionale, c’est un impératif mondial.
Michael Wenger, Polar Journal AG
Lien vers les études :
E.Andersen-Ranberg, I.H. Nymo, P. Jokelainen, et al, Environmental stressors and zoonoses in the Arctic : Learning from the past to prepare for the future, Scie Tot Environ (2024)
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