Un nouveau jardin corallien découvert au Nunatsiavut
Pop-corn et boule de gomme, les coraux d’eau froide de l’Arctique canadien ont la peau dure lorsqu’il s’agit de les trouver à plus de 500 mètres de profondeur. Et rien ne vaut l’expérience des pêcheurs récolteurs du Nunatsiavut.
Quel pêcheur n’a jamais rêvé de voir le fond de la mer ? Et quel océanologue n’a jamais rêvé de trouver un mystérieux jardin de corail suspendu ? Rien d’impossible sur la côte du Nunatsiavut, où les découvertes sous-marines s’enchaînent depuis 2021 dans la mer froide du Labrador. Trouver des coraux pendant à la roche par les « pieds », c’est comme chercher une aiguille au milieu d’une botte de foin. Sauf qu’ici, la botte est une falaise sous-marine et la grange, le fond des eaux canadiennes – encore mal hydrographié. Du moins, c’est ce qu’expliquait Vincent Lecours, cartographe de l’Université du Québec, dans EOS après la sortie d’une étude l’année dernière louant les bienfaits des échanges de connaissances entre populations indigènes et scientifiques. Une méthode qui a ces effets. Le 18 juillet dernier, un second mur coralien a été découvert et longuement observé au cours de la seconde phase de l’expédition Amundsen Science, un pan de roche habité alors baptisé Sentinel.
Sentinel ? Pourrait-on y voir une révérence faite aux pêcheurs récolteurs – comme on dit au Canada pour les pêcheurs vivriers d’ascendance inuk – qui connaissent bien le plan d’eau ? Joey Angnatok mouille ses filets au Nunatsiavut depuis l’âge de 10 ans. Il est particulièrement solidaire du peuple inuit depuis la vague de suicides de 2000 et travaille avec les chercheurs depuis 1989. Son bateau de 19 mètres, What’s Happening, récolte des données en plus de son activité de pêche.
Une annotation du journal de bord de Joey Angnatok en 2019 intéresse les scientifiques : « Ne plus jamais revenir ici », lit-on dans EOS. Le pêcheur avait endommagé du matériel sur un fond méconnu. De fil en aiguille, l’expédition Amundsen Science de 2021 découvre le Jardin suspendu de Makkovik. Puis d’autres soupçons naissent. Un second jardin à une centaine de kilomètres au nord ? Une caméra lancée à l’aveugle l’année dernière capture la photographie d’un corail. Un arbre seul n’est pas une forêt.
« Il avait mentionné un site où le fond était rugueux avec du relief. C’est ce que nous cherchons pour les coraux qui vivent sur les rochers », nous explique Bárbara Neves, chercheuse à Pêches et Océans Canada, embarquée sur le brise-glace des garde-côtes canadiens Amundsen en juillet dernier. Au départ de Terre-Neuve, le navire est remonté entre Hopedale et Nain, à moins de 100 kilomètres des côtes, de retour sur site avec le ROV Astrid. « Nous avons affiné nos estimations avec la bathymétrie et la température de l’eau avant de mettre le ROV à l’eau », explique-t-elle.
Avec quatre pilotes sur le pont, aux manettes depuis la salle de commandement et « les éclats de joie des chercheurs », se rappelle-t-elle. L’équipe découvre des coraux « bulle de gomme » qui poussent « tête » en bas, « en densité importante sur un mur vertical incliné qui gît entre 550 et 570 mètres de fond », explique-t-elle. Des étoiles de mer s’accrochent dans les ramifications du corail, vivant dans l’obscurité d’une eau à quatre degrés, entourées de poissons rouges, de crevettes…
« Un courant atlantique plus chaud remonte ici, il y a de la productivité, l’habitat est sans doute important », explique la chercheuse. « Mais le lien avec le reste de l’écosystème côtier n’est pas connu. » Les chercheurs aimeraient estimer l’âge de certains coraux qui paraissent grands et leur répartition sur la côte. Bien d’autres questions restent en suspens.
Deux horizons motivent les administrations du Canada à trouver ces réponses. L’autodétermination des peuples autochtones d’une part et la protection de 30 % des habitats marins d’ici à 2030 de l’autre. « L’utilisation équitable des connaissances autochtones et des connaissances issues de leur propre programme de recherche » est importante pour le Nunatsiavut, lit-on dans un article de 2023 rédigé par un groupe de recherche comprenant Bárbara Neves et Joey Angnatok. Un programme gagnant-gagnant, quand on sait que l’État canadien s’est engagé à atteindre de son côté, son objectif en faveur de l’océan au côté d’environ 200 autres pays, sur la scène internationale.
Camille Lin, Polar Journal AG
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